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En février 2005, ma soeur, Géraldine Schenkel, apprend qu'elle a obtenu une "Carte Blanche" à la Cave 12 de Genève pour le mois de septembre. Je lui demande ce qu'elle va présenter ?
"J'ai rêvé d'un Pianococktail... et j'adorerais jouer avec, mais ça n'existe pas", me dit-elle le regard nostalgique.
"Qu'est-ce que c'est que ça... un Pianococktail ?"
Alors elle me parle de Boris Vian et de "L'Ecume des jours".
"Ce piano, je vais le faire !" Lui dis-je. "Et tu joueras avec à ta "Carte Blanche" !"
Mais elle ajouta : "J'aimerais que le verre se déplace le long du clavier, sous les flacons, et que je puisse faire de bons cocktails, pas des trucs imbuvables !"
Voilà comment tout à commencé...
Il faut préciser que le Pianococktail de Boris Vian (appelé "Pianocktail") a un verre immobile, et tous les flacons contenant les liquides ont des tuyaux aboutissant à ce récipient. Le but est donc de jouer au piano des mélodies connues ou improvisées et de découvrir ensuite le cocktail obtenu. Dans le livre de Boris Vian les résultats sont merveilleux, mais malheureusement, dans notre réalité, les dosages sont souvent malvenus et les résultats très décevants. Sur mon piano, le verre étant mobile, il est possible de le déplacer sous les flacons et de choisir ainsi le liquide et son dosage. On peut alors reproduire n'importe quel cocktail connu, pour lequel un morceau de musique est spécialement composé. Le jeu du pianiste est évidemment complexifié par le contrôle du déplacement du verre.
Revenons à notre historique :
Le lendemain de notre conversation, je me mis au travail sur un vieux piano, assez gros pour pouvoir installer les dispositifs. Voulant que tout soit mécanique et sans utiliser l'électricité, le premier défi était le déplacement du verre. J'obtins des résultats intéressants en fabriquant un pédalier asymétrique avec quelques mètres de chaîne à vélo et plusieurs cassettes à pignons. Le second défi était l'ouverture des flacons: ma soeur voulait des doseurs de bars montés sur six bouteilles renversées. Un système de tiges, de poulies et de bras de levier permettait de transférer le mouvement des touches aux doseurs. Mais ceux-ci demandaient passablement de force pour libérer les liquides (problème qui sera résolu dans la version 2012). A tout cela, j'ajoutai des mécanismes sonores et visuels, tels que gramophone, roue de vielle entraînée par une hélice de bateau et jouant sur un violon, poivrier-sonnette, verseur de glaçon et de tabasco, meule-kalimba (piano-à-pouce africain), plus un bras articulé permettant de faire sonner soit une caisse-claire, soit une cymbale. Certains dispositifs étaient reliés à la grande chaîne du pédalier et d'autres avaient des moyens d'actions indépendants. 7 mois de travail intense ont permis de terminer l'ouvrage la veille de la performance de Géraldine. Vers la fin des travaux, elle composa trois morceaux pour les trois cocktails à disposition et appris à maîtriser l'engin. Malgré le succès de cette "Carte Blanche", je pensai que l'aventure se terminerait là...
Mais Géraldine continua à jouer avec le Pianococktail: dans un chapiteau Elisabéthain, lors de divers festivals de rues et dans des bars. L'instrument se fit connaître. En 2007, avec l'envie d'agrandir sa "carte de cocktails", elle me demanda d'ajouter des flacons. Je me remis à l'ouvrage et neuf autres liquides vinrent compléter les six premiers. Ils étaient contenus dans des entonnoirs (donnant un air alchimique à l'instrument) et les mécanismes d'écoulement étaient simples et ne demandaient pas d'effort aux touches du piano. Le nombre de cocktails grimpa alors à douze. J'installai un mélangeur-à-trille pour l'une des boissons et un marteau-klaxon pour le son.
En 2009, un nouveau flacon et une cuillère à absinthe furent ajoutés, permettant un treizième cocktail. Le Pianococktail passa à la TV, à la radio, dans les journaux, se fit voir-entendre-goûter à Genève, Marseille, Berne, Paris, Bruxelles, et j'en passe.
Et puis début 2011, l'instrument fatigua: il ne tenait plus l'accord, certaines touches étaient fragilisées par le "poids" des doseurs, les sonorités se dégradaient et les mécanismes perdaient de leur fiabilité. Il fut question d'en reconstruire un...
Le facteur de piano Michel Boder, de la Chaux-de-Fonds, touché par le projet, nous dénicha un ancien piano plein de cachet, et remit à neuf toute la mécanique. Les travaux de métamorphose en Pianococktail pourraient débuter en septembre. Je voulais mettre à profit mes nouvelles compétences en métallerie pour améliorer les processus, les fortifier, et donner à l'ensemble une esthétique plus subtile. Mais aussi, il fallait trouver un moyen d'agir sur les doseurs sans fatiguer les touches du piano, ni devoir presser dessus avec force, afin de fluidifier le jeu de l'exécutant. J'imaginai toutes sortes de solutions mécaniques; mais le débattement de la touche étant minime, il était nécessaire de l'amplifier pour pouvoir ouvrir le doseur, et la force d'action sur la touche devait être augmentée proportionnellement. C'est finalement l'utilisation de contrepoids qui semblait offrir la meilleure solution; mais cela prendrait beaucoup de place sur le piano. Il fallait se résoudre à utiliser une énergie extérieure, telle que l'électricité. Ce moyen nous apparaissait peu élégant. Que faire? C'est au "Figuren Theater Festival" de Bâle, le 31 août 2011, que je trouvai la réponse. Ce festival est spécialisé en Théatre d'automates. Le Pianococktail faisait l'ouverture, en introduction à la pièce "Cupidon" de Gilbert Peyre. Ce dernier, créateur ingénieux, utilise l'air comprimé pour agir sur ses mobiles... l'air comprimé... la pneumatique... voilà la solution! Je me plongeai alors dans l'étude de cette technologie et dénichai du matériel pour faire des tests. Les résultats furent extrêmement prometteurs. L'air comprimé, stocké dans un réservoir facilement transportable, agit via des vannes de distribution et des tuyaux, sur des vérins ouvrant et fermant les doseurs. Ces vannes sont disposées sous les touches, et leur activation demande très peu d'effort. De plus, les sonorités pfuiiiiiit des vérins s'ouvrant et se fermant viendront s'ajouter à la palette des sonorités du Pianococktail, donnant une touche "rétro-industriel" à l'ensemble déjà riche en caractères.
Le Pianococktail 2005 fut une expérience technique et un test sur le public. Elaboré avec du matériel de récupération, assemblé avec vis, bouts de bois, colle et boulons, il fonctionnait malgré tout et fit rêver toute sorte de gens.
Le Pianococktail 2012 est élaboré avec soin. Ses mécanismes sont faciles d'entretiens, résistants, fiables et esthétiques. Des détails de ferronnerie amplifient l'aspect onirique de la performance. Il est une sculpture cinétique, sonore et gustative !!!

Pianos...

MUTANTS

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